L’annonce du président Alassane Ouattara, le 6 août, de briguer un troisième mandat consécutivement au cas de force majeure né du décès, le 6 juillet, d’Amadou Gon Coulibaly, alors candidat déclaré du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), passe mal. D’ordinaire à couteaux tirés, les différentes composantes de l’opposition ivoirienne ont trouvé dans le rejet de la candidature d’Alassane Ouattara un motif de cohésion. Bien qu’interdites par les autorités pour non-respect « des procédures appropriées » des manifestations ont été organisées en fin de semaine écoulée.
A Bonoua, au Sud-Est, fief de l’ex-première dame Simone Gbagbo, un jeune de 18 ans a été tué lors de heurts avec les forces de l’ordre. Des violences ont fait trois morts à Daoukro, fief de l’ancien président Henri Konan Bédié, et ancien allié d’Alassane Ouattara, mais qui juge sa candidature à un troisième mandat « illégale ». Des personnes ont été tuées dans des affrontements entre ses partisans et des jeunes favorables au président Ouattara. « Le calme revient timidement, mais nous déplorons trois morts » a indiqué une source sécuritaire, sous le couvert de l’anonymat. D’autres heurts ont eu lieu entre manifestants et force de l’ordre, notamment dans la capitale économique Abidjan. Ces manifestations ont rassemblé plusieurs centaines de personnes. « Nous manifestons pour le départ du président Ouattara, parce que sa candidature viole la Constitution. Nous ne voulons pas accepter un troisième mandat », a expliqué un habitant du quartier d’Anono. Corroborant la thèse de l’inéligibilité du président Alassane Ouattara, Martin Bleou, agrégé de droit public et science politique, professeur titulaire des Universités, président d’honneur de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme, ancien vice-président de l’Union interafricaine des droits de l’homme et ancien ministre de la Sécurité intérieure, livre son analyse sur la question du troisième mandat.
Non-rétroactivité : inévocable
Selon Martin Bleou, le principe de la non-rétroactivité, consacré par la Constitution et opposable au pouvoir législatif ou, plus largement, à toute autorité infra-constituante, ne joue qu’à l’égard de la règle nouvelle. En d’autres termes, c’est lorsque la règle de droit est nouvelle qu’intervient le principe de la non-rétroactivité pour faire échec à son application à des situations antérieures à l’édiction de ladite règle. Ce principe tend à assurer la sécurité juridique et, par conséquent, à lutter contre les remises en cause des situations acquises. Or, le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels n’est pas une règle nouvelle. Pour lutter contre le pouvoir à vie ou la patrimonialisation du pouvoir, la Constitution du 1er août 2000 a posé des limites en consacrant le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux. Ce principe n’a pas été abrogé par la Constitution du 8 novembre 2016, laquelle par l’effet de son article 55, alinéa 1er, reconduit le principe de la limitation des mandats présidentiels à deux. Il suit de là que le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels n’est pas nouveau. Car, par la volonté du constituant, autorité suprême, ce principe existe depuis 2000.
Première élection de la 3e République : un fallacieux prétexte
Pour Martin Bleou, cet autre argument ne peut, non plus, prospérer en tant qu’il relève du sophisme : le décompte du nombre de mandats ne peut se faire à partir de la date de l’avènement de la Constitution de 2016, mais, bien plutôt pour compter de 2000, c’est-à-dire de la consécration du principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels qui n’a pas cessé d’exister depuis 2000. Il n’est pas question de savoir quel est l’adjectif numéral ordinal qui s’applique à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Il ne s’agit pas de savoir si elle est la première ou la dixième élection organisée sous la Constitution de 2016. Il s’agit plutôt de savoir si Alassane Ouattara, qui a bénéficié, déjà, de deux mandats présidentiels, peut être candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020 sans que le principe de la limitation, qui existe depuis 2000, le rattrape ou lui soit opposable. La question devant être appréciée par rapport au nombre de mandats présidentiels reçus par Alassane Ouattara depuis la consécration du principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux et non depuis la naissance de la troisième République, l’on aboutit au constat qu’au regard du droit, Alassane Ouattara n’est pas éligible à l’élection présidentielle d’octobre 2020.